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Type de textesource
TitreTraité de perspective, où sont contenus les fondements de la peinture
AuteursLamy, Bernard
Date de rédaction
Date de publication originale1701
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Date de reprint

(ch. IX), p. 218-219

La chose ne merite pas que je m’y arrête plus long-temps, et que j’entre dans un détail de toutes les figures des ombres par rapport au corps lumineux dont ils empêchent l’effet. Cela est aisé : il suffit de dire qu’aprés qu’on a bien observé la figure et la mesure de l’ombre des objets sur le plan geometral : on doit chercher la perspective de cette figure et la grandeur perspective de cette mesure.

Ce seroit le moyen de réussir ; mais les peintres ne se donnent pas tant de peine, leurs ouvrages sont trop mal payez : ils sont contraints de faire plusieurs tableaux dans une année pour en retirer une subsistance honnête. Ces illustres Peintres de l’antiquité employoient des années entieres à faire un tableau. Que dis-je à le faire ? ils étoient plusieurs années pour en former le seul dessein ; ce qui coûte le moins à la plûpart des Peintres. Les plus laborieux et les plus exacts dessignent à vüe d’œil ce qu’ils veulent imiter. Aussi voit-on rarement des pieces qui meritent l’admiration.

Dans :Apelle et le peintre trop rapide(Lien)

, p. 12-13

Mais enfin, la peinture n\'est point essentiellement limitée à representer aucun sujet particulier. C\'est en général l\'art d\'imiter; et sa perfection, c\'est que l\'imitation soit si naturelle que la peinture fasse les mêmes impressions que le Peintre a voulu imiter. C’est là ce qui fait la beauté de son art : c’est l’adresse avec laquelle il imite ce qu’il veut representer qui le fait estimer ; car souvent on est charmé de voir dans un tableau ce qui feroit horreur si on le voioit effectivement. Un serpent fait peur ; sa peinture, si elle est bien faite, est attrayante. C’est donc l’esprit du peintre qui plaist.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, « Conference de Socrate avec Parrhase excellent peintre, et avec Cliton habile sculpteur, tirée du troisiéme livre de Xenophon des choses memorables de Socrate » (numéro ch. X) , p. 222-224

J’ay souvent prevenu en ce traité, un reproche qu’on m’auroit pû faire, d’avoir osé parler de la peinture que j’ignore. Il est mal séant de parler de ce qu’on ne sçait point. Je ne sçay effectivement ni dessiner ni peindre ; comment donc justifier ma conduite ? Je l’ay dit : je ne traite que de la maniere de chercher la perspective des points et des lignes qui terminent et mesurent la dimension d’un corps proposé pour être mis en perspective ; ce qui appartient à la geometrie. Mais vous sortez, me diroit-on, du ressort de la geometrie, vous mêlant de dire vostre sentiment de toute la peinture. C’est de quoy il me faut rendre raison ; et pour le faire je rapporteray icy une conférence que Socrate eut avec deux fameux ouvriers dont l’un étoit peintre, et l’autre sculpteur ; ce qui suffira pour démontrer que sans être ouvrier on peut contribuer à la perfection des arts.

Xenophon au troisiéme livre des choses memorables de Socrate rapporte cette conference qu’eut Socrate avec Parrhase excellent Peintre, et avec Cliton habile sculpteur. Ce philosophe les instruit de ce qui pourroit rendre leurs ouvrages plus parfaits : il le fait à sa maniere ordinaire, les interrogeant avec cet ordre, qu’en luy répondant ils parlent comme s’ils sçavoient déjà ce qu’il leur demandoit, et dont ils avoient besoin d’être instruits. Ils reconnoissent sans peine les veritez qu’il leur découvre. C’étoit sa methode en toutes les instructions qu’il donnoit, merveilleusement propre pour instruire. Il y a long-tems qu’un illustre Académicien a traduit du grec en françois cette conférence. La voilà : Xenophon parle de Socrate.

« Il étoit admirable en toutes ses conversations, et quand il se rencontroit même avec des artisans, il disoit toûjours quelque chose qui leur pouvoit servir. Une fois étant entré dans la boutique de Parrhase Peintre, il s’entretint avec luy de la sorte. La peinture n’est-ce pas une representation de toute ce qui se voit ? Car avec un peu de couleur, vous representez sur une toile des montagnes et des cavernes de la lumiere et de l’obscurité. Vous faites remarquer de la difference entre les choses molles et les choses dures, entre les choses unies et les raboteuses. Vous donnez de la jeunesse et de la vieillesse au corps ; et quand vous voulez representer une beauté parfaite, comme il n’est pas possible de rencontrer un corps, où il n’y ait aucun défaut ; vous avez accoûtumé d’en considerer plusieurs ; et prenant de chacun ce qu’il y a de beau, vous en faites un qui est accompli dans toutes ses parties.

Vous avez raison dit Parrhase.

Pouvez-vous aussi representer, dit Socrate, ce qu’il y a de plus charmant, et de plus aimable dans la personne, je veux dire l’inclination ?

Comment voudriez-vous, repondit Parrhase, que l’on peignît ce qui ne se peut exprimer par aucune proportion, ni avec aucune couleur, et qui n’a rien de commun avec toutes ces choses que vous venez de nommer, qui se laissent imiter par le pinceau ; en un mot qui ne se peut voir ?

Les hommes, reprit Socrate, ne font-ils pas paroître de la haine, et de l’animitié dans leurs regards ?

Ouy, ce me semble, dit Parrhase.

On peut donc faire remarquer de la haine et de l’amitié dans les yeux ?

Je l’avouë.

Vous semble-t-il encore, poursuivit Socrate, que dans les adversitez et dans les prosperitez des amis, ceux qui y prennent interêt conservent un même visage que ceux qui ne s’en soucient point ?

Nullement, dit-il, car durant la prosperitez des amis on a le visage ouvert, et plein de joye, au lieu que dans leur adversité on l’a sombre et melancholique.

Cela donc se peut peindre aussi ?

Il est vray.

Davantage dit Socrate, la magnificence, la generosité, la bassesse, la lâcheté, la modestie, la prudence, l’insolence, la rusticité ; tout cela paroît sur le visage ou dans la posture d’un homme, soit assis, soit debout.

Vous dites la verité.

Cela peut donc être imité par le pinceau.

Cela se peut.

Et où trouvez-vous plus de plaisir, dit Socrate, ou à voir le portrait d’un homme, qui par l’entretien decouvre un bon naturel et de bonnes mœurs, ou d’un qui porte sur le visage les marques d’une inclination vitieuse ?

Il n’y a pas de comparaison, dit Parrhase.

Dans :Parrhasios et Socrate : le dialogue sur les passions(Lien)

, « Des tableaux et des statuës qu’on fait pour les poser dans des lieux très-élevez » (numéro V) , p. 186-188

Après ce que l’on a dit, il ne seroit pas necessaire d’avertir une seconde fois que dans les tableaux qui sont sur des fonds plats et unis, mais qui sont placez fort haut au-dessus de l’œil, les choses n’y doivent pas être representées dans leur proportion naturelle ; ce qui se doit entendre de la sculpture, aussi-bien que de la peinture. En ce cas si on veut que les choses paroissent ce qu’elles sont, il les faut peindre autrement qu’elles ne sont. Par exemple, faisant le tableau d’un Christ pour un lieu fort élevé, afin que sa tête ne paroisse pas plus petite qu’elle le doit par rapport au reste du corps, il faut la faire plus grande. Les parties les plus élevées qui sont vües sous de plus petits angles paroissent plus petites qu’elles ne le sont, doivent avoir une grandeur plus que naturelle, afin qu’elles paroissent avoir celle qui leur est naturelle. C’est-à-dire, dans l’exemple proposé que la tête du Christ doit être plus grande pour être proportionnée aux autres parties du corps, qui étant plus basses, et plus proches de la vüe conservent mieux l’apparence de leur veritable grandeur.

Teztzes rapporte un trait d’histoire qui regarde nôtre matiere. Il dit que les Atheniens ayant deliberé de poser sur une haute colomne la statüe de Minerve, ordonnerent à Phidias, et à Alcamene de faire chacun la statuë de cette déesse, dans le dessein de lui dedier celle qui seroit jugée la plus belle. Alcamene fit la figure de Minerve, svelte et d’un visage fort gratieux ; il n’y avoit rien de plus beau, vû de prés ; tout le monde l’alloit voir avec admiration dans son atelier. Phidias au contraire composa sa figure tout autrement ; il lui fit les levres separées, la bouche ouverte, les narines larges grandes. Toutes ces grandes parties n’avoient point de grace dans l’atelier. Aussi il faillit être lapidé par le peuple. Mais quand les deux statuës furent mises en leur place, celle de Phidias parut avec toute la beauté qu’on y pouvoit desirer, et fût fort estimée par les Atheniens. Celle d’Alcamene perdit de sa grace, parût meschine et ridicule. C’est encore une regle, que dans toute statue colossale, gigantesque, aucune partie ne doit être finie. Il suffit qu’elle ne soit que comme frappée ; parce qu’outre qu’il seroit inutile de faire autrement, ce qui est brute paroît mieux de loin comme étant plus grossier.

Dans :Phidias et Alcamène, le concours pour Athéna(Lien)